Fils de charpentier, je voulais faire un peu comme papa, mais en mieux. Je voulais être architecte ! Mon baccalauréat en poche, je rejoins l’école d’architecture de Bordeaux. Trois années plus tard, je compris que j’avais, à force de regarder travailler mon père, contracté le virus du charpentier. Subitement, je m’étais découvert une passion dévorante pour les toitures, surtout celles des somptueuses demeures que je voyais pousser un peu partout le long de la côte sud de la France.
Un virage inattendu
À 35 ans passés, j’étais déjà un charpentier chevronné et je croyais que la suite de ma carrière était définitivement tracée. Mais c’était compter sans le hasard et… George.
George était un Américain qui vivait à quelques encablures de Nice. Il m’avait engagé pour réparer un pan du toit de la jolie demeure qu’il venait d’acheter et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il était satisfait de mon travail.
Je le savais, car tout en me remerciant, il me suggéra d’aller travailler aux États-Unis où, insista-t-il, mes talents de charpentier allaient me rapporter « des tonnes de dollars » ! Il ajouta que si jamais l’idée me tentait, je devais absolument le lui faire savoir.
Je gagnais déjà bien ma vie sous le soleil méditerranéen et il fallait bien plus que des « tonnes de dollars » pour me persuader de m’expatrier dans un pays où je n’avais jamais les pieds.
Pourtant, sans que je le sache, l’idée de découvrir la culture américaine et la perspective de me frotter aux professionnels de là-bas firent progressivement leur chemin dans mon esprit. « Cerise sur le gâteau, me dis-je, j’apprendrai à parler anglais. Et avec l’accent américain, s’il vous plaît ! »
Visa et Green Card
« Excellent ! Je t’engage tout de suite ! » me répondit George quand je lui annonçai ma décision. Me voyant intrigué, le vieux briscard m’expliqua qu’il était entrepreneur et qu’il voulait que je travaille pour lui !
Le soir même, il appela son associé à Portland, une ville de l’Oregon, dans le nord-ouest des État-Unis, et lui demanda de faire le nécessaire pour mon expatriation.
Je n’ai plus en tête tous les détails de la procédure, mon employeur s’étant occupé de toutes les démarches nécessaires à l’obtention du fameux sésame H1B. Il s’agit du visa pour vivre et travailler sur le territoire américain, l’un des rares visas à permettre de déposer un dossier pour la Green Card.
À vrai dire, une fois ma décision prise, la seule appréhension que j’avais eue concernait mon assurance santé.
L’assurance santé
Je ne savais rien du fonctionnement du système d’assurance maladie aux États-Unis. Comme tout le monde, j’avais vaguement entendu parler de l’Obamacare qui aurait amélioré les choses sur ce plan, mais je savais qu’en gros, il était de loin préférable de tomber malade en France qu’aux États-Unis.
Une petite recherche sur Internet m’avait vite rassuré, car j’avais appris que je pouvais prendre les devants en souscrivant une assurance expatrié et même les comparer comme sur ce site. Les assurances voyages, elles, étant réservées aux voyageurs dont le séjour à l’étranger ne dépassent pas 12 mois.
Vu ma totale ignorance du système médical américain, l’éloignement, les risques inhérents à mon métier et tous les aléas liés à mon statut d’expatrié (dans un état du Far West, tout de même, et ce n’est pas une métaphore !), je n’ai pas hésité à opter pour une couverture maximale. La sérénité n’a pas de prix, disait mon père.
Rêver les yeux ouverts
De tous les états américains, l’Oregon est le plus gros producteur de bois. Et ça, croyez-moi, c’était bien plus qu’un détail pour le jeune charpentier que j’étais. Imaginez un pâtissier parisien se retrouvant subitement dans un pays où les collines croulent sous de la bonne farine !
Là où un simple visiteur aurait vu des pins, des Douglas (aussi appelé pin de l’Oregon !), des épicéas, bref, des arbres ; moi, je voyais des chevrons, des poinçons, des échantignoles et autres éléments de charpente.
Bien sûr, au début, j’étais plutôt intimidé par mes nouveaux collègues. C’étaient tous des gaillards qui, en plus de leur maîtrise évidente de l’art du bois, maniaient les madriers comme si c’étaient des allumettes ou des fétus de paille.
Surtout, j’étais gêné par l’expression mi-perplexe, mi-amusée avec laquelle ils me regardaient. « Un charpentier, lui ? » semblaient-ils se demander en écrasant du regard ma silhouette de petit gringalet.
Un monde vraiment à part
Petit à petit néanmoins, j’avais fini par me rendre compte que mes techniques de travail, sans être supérieures aux leurs, pouvaient leur être utiles. « S’ils voient que j’ai quelque chose à donner, me dis-je alors, ils cesseront de me regarder de haut. »
Et ce fut exactement ce qui arriva ! Au bout de quelques semaines, je les voyais reproduire (parfois furtivement pour que je ne puisse pas m’en apercevoir) quelques-uns de mes tours de main.
En tout cas, il leur fallut beaucoup moins de temps pour s’habituer à ma façon de travailler que pour apprendre à prononcer mon prénom.
Au fait, je m’appelle Louan.